Homélie du Dimanche 9 juin 2024 - 10ème du Temps ordinaire — Notre-Dame d'Auteuil

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Homélie du Dimanche 9 juin 2024 - 10ème du Temps ordinaire

Homélie du dimanche  9 juin

 

Ce long passage de l’évangile de saint Marc est difficile à interpréter tant Jésus semble prendre le contre-pied de la candeur qu’on lui assigne généralement. Jésus se doit d’être lisse et prévisible. Il est à l’évidence excessif quand il néglige de manger. Il s’exprime avec le réalisme tranchant du soldat pour dénoncer l’inanité de l’accusation de satanisme qu’on lui impute lorsqu’il accomplit un exorcisme. Il applique l’évidence de la faiblesse que constitue une troupe divisée dans la bataille ou la nécessité d’être un plus fort pour terrasser un adversaire en combat singulier pour s’emparer du butin. Plus loin le comportement apparent qu’il adopte à l’égard de sa mère, et avec elle de ses cousins (frères) est à la limite de la goujaterie, voire de l’irrespect. Il cadre mal avec notre idée de communion qu’entretiennent la sainte Vierge et son divin fils. Il faut à l’évidence convenir que Marie déjà comprenne le sens profond des paroles de Jésus concernant ses disciples pour qu’elle ne s’en offusque pas.

Vous avez remarqué que j’ai éludé le passage sur le blasphème contre l’Esprit Saint, et comme c’est un passage particulièrement ardu et énigmatique, il nous faut emprunter le chemin de l’interprétation avec circonspection. L’affirmation « majeure » de Jésus est la possibilité de la remise de tout péché et tout blasphème. Cette affirmation est étonnante si l’on y réfléchit. Passé un certain degré, la rémission semble impossible, la tolérance au mal difficilement soutenable. On peut abstraire une rémission de tous les péchés, la concevoir intellectuellement, mais plus difficilement l’agréer quand on éprouve réellement l’impact de ce péché, au-delà d’un certain seuil. Au-delà de ce seuil, la vengeance parait la seule solution et l’effort de civilisation est alors de réguler cette vengeance pour la contenir moralement et pénalement. La loi du Talion impose la proportion et les prophètes, Ezéchiel en particulier, énonce le principe d’attribution, à savoir qu’un péché n’est attribuable qu’à celui qui l’a commis et non à un de ces proches. L’affirmation « majeure » de la rémission des péchés entraine une alternative à l’idée de rétribution. Que ce soit le sens de la justice des hommes ou celle de Dieu, nous avons du mal à concevoir concrètement la portée de cette rémission. Si le pécheur ou le blasphémateur doit réparer sa faute, celle-ci étant remise, elle est dans la bouche du Christ vouée à ne plus caractériser le pécheur. 

Reste ce péché particulier, la « mineure », le blasphème contre l’Esprit Saint. Quand nous avons épuisé notre imagination, nous voyons mal à quoi il correspond. Dans la tradition biblique, le péché blasphématoire est le poing tendu, rageur, contre Dieu. Si le Père peut l’endurer, si le Fils peut le racheter, à quoi correspond-il pour l’Esprit Saint ? La précision des paroles du Christ nous alerte sur la spécificité de ce péché, dont nous ne disposons d’aucune illustration ou de cas d’école. J’opinerais à dire que l’Esprit Saint, étant sauve son égalité avec le Père et le Fils, apparaissant plus difficile à se figurer que le Père et le Fils, le blasphème ou l’insulte le concernant le fût d’autant. Un blasphème contre lui ne peut être assimilé à une simple insulte ou une simple inconvenance à l’égard du Saint Nom de Dieu. Le caractère irrémissible de ce péché, surtout en regard de la miséricorde infinie de Dieu, doit relever d’une attitude plus radicale que le blasphème du moment ou de l’instant. Notre investigation s’épuise devant la réalité du don plénier de pardon que Jésus prononce sur la croix : « Dieu, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. ». Cette ignorance est un plaidoyer en faveur de l’irresponsabilité des ennemis du Christ. Alors que reste-t-il quand on a écarté cette parole du Sauveur ? Nous entrons dans la conjecture, et présumons un péché plus foncier, plus conscient. Il n’est plus le fruit de l’erreur ou du tempérament humain, mais une attitude assumée contre l’Esprit Saint. Cette attitude n’a pas besoin d’être explicite, il lui suffit d’’être. 

Dans l’expérience chrétienne, l’Esprit Saint, tout en étant une personne divine dans la Trinité, se caractérise par sa gratuité et le fait d’être donné. Etant une personne, il ne peut être instrumentalisé. Etant un don, il est l’expression de l’amour de Dieu pour l’homme. Ce don comporte en soi deux finalités : adjoindre à la condition de l’homme ce qui appartient à la réalité du Dieu unique, la source de la vie propre à l’amour caractéristique qu’est la Trinité divine. Cette insulte doit être profondément ancrée dans l’homme et ne pas se réduire à un excès de langage. Le blasphème s’avère alors ne pas être un péché de langage, mais un péché radical contre Dieu, qui s’immisce quand on a fini de passer en revue tous les péchés. 

Dans le contexte de l’évangile de Marc, ce passage suit trois évocations : Jésus qui néglige de manger parce qu’il est accaparé par la tâche, Jésus qui se présente comme l’adversaire de Belzébul et de Satan, dans le contexte d’une lutte, enfin le guerrier qui soumet son adversaire et le dépouille de son butin. Son implication dans la cause du rachat de l’homme de l’emprise du mal ne fait aucun doute. Le fruit de la résurrection est le don de l’Esprit Saint et prolonge le don du Rédempteur. Si l’homme peut pécher par ignorance, par peur, voire par vanité, il peut encore être sauvé, mais quand il oppose le refus au don du salut, cela ne tient plus. La superficialité des mots du blasphème n’est pas forcément déconnectée avec l’attitude foncière du refus et de l’orgueil. 

Nous pourrions conclure au paradoxe que constitue ce péché : le refus du don d’un bien véritable. Notre expérience à petite échelle nous enseigne que ce refus n’est pas une vue de l’esprit… D’où cela vient-il ? De la fierté de ne pas avoir une foi suffisamment raffinée pour ne pas être confondu avec les autres ; de la difficulté à accepter la gratuité du don, sans lui opposer nos mérites ; de ne pas reconnaitre nos pauvretés et celle radicale de notre vie éphémère.  

 

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