Homélie du Dimanche 4 Août 2024 - 18ème du Temps ordinaire — Notre-Dame d'Auteuil

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Homélie du Dimanche 4 Août 2024 - 18ème du Temps ordinaire

Homélie du 4 août 2024 

Le discours du pain de vie exige un vrai effort de compréhension et je vous propose de nous y atteler aujourd’hui. Nous continuons la lecture du chapitre 6 de l’évangile selon saint Jean, et poursuivons par un discours, la multiplication des pains, narrée par la lecture de la semaine précédente. Les allusions eucharistiques sont très nombreuses, tant dans le récit que dans le discours, et constituent dans cet évangile l’enseignement sur ce sujet, étonnamment absent puisqu’il n’y a pas de récit de l’institution chez saint Jean. Une grande partie de la théologie catholique sur l’eucharistie concorde avec ce chapitre, très provoquant car dans son développement, l’insistance de Jésus à manger sa chair et à boire son sang, sera compris littéralement par ses auditeurs. Cette anthropophagie leur apparait alors monstrueuse et le discours de Jésus les scandalise par sa rudesse. Il s’agit maintenant d’entrer dans ce texte pour en saisir le sens.

Pour préparer nos esprits, j’aimerais rappeler deux caractéristiques propres au fait de s’alimenter : la répétition et l’assimilation. 

En premier lieu, l’alimentation est récurrente. Elle l’est d’autant que les périodes de jeûne contredisent la nécessité de s’alimenter régulièrement et, de ce fait, cherchent à distinguer en l’homme le désir du besoin. Or à part quelques exemples très ponctuels où des saints s’alimentent très peu, parfois d’une seule hostie par jour, ou des périodes durant lesquelles la pratique religieuse recommande un jeûne, plus ou moins rigoureux, il faut nourrir régulièrement. Actuellement, pour l’immense majorité des occidentaux, l’alimentation n’est pas vraiment une préoccupation personnelle majeure et nous ne ressentons plus la menace d’une disette ou d’une famine. Or jusqu’à un passé assez récent, la nourriture est le souci majeur de nos ancêtres. Une mauvaise récolte, gâtée par les précipitations ou la sécheresse, dévastée par les guerres annuelles, remet radicalement en cause la survie d’une région. Le livre de l’Exode rapporte le don de la Manne, cette nourriture céleste dont les Hébreux se nourrissent au désert. Le miracle n’est pas tant qu’elle apparaisse, mais que cela se répète aussi longtemps que nécessaire pour les préserver de la faim. Ce miracle est suspendu entre une véritable spiritualité, celle qui fait sentir la providence divine dans les besoins les plus quotidiens, et les besoins objectifs de l’homme, qui en avaient besoin pour sa survie. Cette tension entre les deux est bien résumé par le fait que la manne doit être mangée dans la journée, avec un sursis le Sabbat puisque le repos prescrit interdit qu’on la ramasse. Au-delà de cette journée, la manne pourrit et devient impropre à la consommation. Dans son discours, Jésus insiste sur le fait que la nourriture périssable, qu’elle sait de la nourriture courante, de la manne, ou les pains qu’il vient de multiplier, n’apportent qu’un rassasiement temporaire, et qu’il faudra bientôt renouveler son obtention. A l’inverse, « la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnez le Fils de l’homme » échappe à cette nécessité. Elle s’inscrit donc dans une autre logique que celle du temps répétitif, mais permet à l’homme de s’inscrire dans une autre compréhension de son existence, marquée par l’éternité et l’émancipation de la nécessité d’avoir à renouveler son alimentation. En ce sens, tout ce que dira Jésus est à appréhender selon une autre mesure de la vie et du temps. Dans l’extrait que nous avons lu, Jésus utilise totalement ce contraste et effectue un parallèle comparatif entre la Manne et lui-même, en se déclarant « Pain de la vie ». Il fait jouer un peu le suspens en parlant du « Pain de Dieu », un pain plus définitif que la Manne, qu’il finit par s’assimiler à lui-même. Ce « Pain de Dieu » s’affranchit de la répétition et est une nourriture pour la vie éternelle.

La deuxième caractéristique de l’alimentation est qu’on l’assimile. Elle ne soulage par uniquement la faim ; elle donne le matériel et la matière dont le corps a besoin pour fonctionner et se régénérer. Certains interdits alimentaires s’appuient soit sur le constat que certains aliments sont mauvais pour l’assimilation, étant vénéneux ou empoisonnés. Certains motifs soulignent que la consommation de certains aliments assimile et transforme le consommateur à la nourriture absorbée. J’ai suivi sur internet il y a quelques années un prêche d’un imam, qui justifiait que l’ingestion de porc, transformait progressivement la vertu morale et la psychologie de ses consommateurs à l’image de l’animal mangé. Le cannibalisme prend en contrepied la même idée, mais à l’envers. La tribu cannibale entend absorber la force de la victime pour se l’approprier. A un degré moindre, certains s’abstiennent de viande ou deviendront végan, car ils ne veulent pas assimiler la chair des bêtes. Certains même le feront car ils estiment que les animaux sont des alter egos des êtres humains (cf. le comportement de « Pépé » dans le film « le vieil homme et l’enfant »). Jésus joue à plein sur cette assimilation, car il ne s’agit pas seulement de se nourrir, mais de se nourrir de lui, et d’être marqué de son « sceau », c’est-à-dire de son empreinte, ou en grec de son « caractère », en quelque sorte de se l’assimiler. Cette assimilation de la même manière que le pain du ciel introduit dans l’éternité, n’est pas purement biologique, mais introduit un lien de communion et de ressemblance, au point qu’à l’image du Christ, celui qui le reçoit « travaille aux œuvres de Dieu », exactement comme Jésus.

 

La compréhension de ces deux caractéristiques, i.e. la fin de la répétition et l’assimilation du Christ nourriture, doit nous alerter sur la difficulté de ce passage. Jésus s’appuie sur une nécessité naturelle, et la dépasse à la mesure de lui-même et à celle de l’éternité. Le lecteur a du mal à voir cette allée-et-venue et est tenté de se réfugier soit sous un réalisme qui rend inaudible l’enseignement de Jésus, en lui reprochant d’être incompréhensible et impossible, soit de symboliser toute chose, en écartant le fait que Jésus parle au sens propre et non au sens figuré. Certes il ne donnera pas un de ses membres pour que nous le mangions, mais en parlant de pain, il annonce très directement que sa chair est investie dans cette nourriture qu’il s’approprie pour la redonner dans une autre perspective aux Hommes. C’est un fait mystérieux, qu’il faut prendre non pas comme une énigme, mais comme une réalité qui nous assimile au Christ et redirige notre temps vers l’éternité. Dans cette perspective, nous devons bien réfléchir à ce que la communion eucharistique implique et corriger nos erreurs de compréhension ; Exit, les communions sacramentelles répétées dans une journée, Exit aussi une vision trop physiciste du saint sacrement, où la présence réelle peut être détournée dans ....

 

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