EPIPHANIE 2024 — Notre-Dame d'Auteuil

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EPIPHANIE 2024

Epiphanie 2024

Les mages venus d’Orient ont connu l’imprégnation des interprétations symboliques et populaires, si bien qu’on a du mal à discerner la part de témoignages véridiques transmis par la tradition, de la part des représentations allégoriques. Selon l’iconographie, ils apparaissent soit selon les âges de la vie, soit selon les races humaines, pour représenter l’universalité des Païens venus adorer le Messie d’Israël.

Je partirai du départ. Ils viennent d’Orient, sans qu’on sache très bien d’où. L’orient exerce sur les Israélites la même fascination que celle que nous éprouvons aujourd’hui. L’orient a autant marqué la curiosité des Juifs, notamment dans la personne de Job, que pour nous l’orientalisme charrie son lot de secret, de rites initiatiques et de mystères. Même si le monothéisme épure les attraits de la magie (d’où le nom de mage) et de la sacralité de la nature, qui porte en son sein les secrets de la matière, en les distinguant de la divinité, le cœur romantique de l’homme ne s’épuise pas à rêver de ces contrées fantasmées au parfum de cardamone et d’encens et de ces vallées où le temps semble avoir été suspendu. Parce qu’ils suivent une étoile, les mages partagent avec les Babyloniens l’art de l’astrologie et de la divination. La toile céleste est la carte naturelle que dressent les dieux pour que les navigateurs, qu’ils soient du désert ou de l’océan, puissent trouver leur chemin. D’une route commerciale à trouver au sentier de la vie à découvrir, il n’y a qu’un pas. Pour eux, la lointaine Jérusalem est la dernière étape avant le monde de l’Occident, dominé par l’Empire de Rome et sa formidable puissance technique et militaire. Je vous invite donc à échanger vos regards d’occidentaux pour vous couler dans la peau d’un oriental sage et versé dans les mystères séculaires distillés par des écoles de savants. A cause de la diaspora juive qui s’étend jusqu’aux confins de l’empire perse, il est probable que des fragments des oracles bibliques leur soient parvenus au cours de leurs étapes vers l’occident. C’est à Jérusalem, au centre de la vie biblique, qu’ils espèrent trouver la clef du mystère de cette étoile, plus probablement une comète qui est venue troubler le ciel du Moyen Orient. Les croyances de l’époque associaient volontiers l’avènement d’un nouvel astre avec l’avènement d’un roi remarquable.

Puisqu’ils arrivent à Jérusalem et qu’ils sont reçus par Hérode, nous pouvons inférer que leur réputation les a précédés. On a du mal à imaginer que trois voyageurs inconnus puissent s’introduire auprès d’un monarque et lui faire consulter les archives de son peuple, sans cela. A moins que leur caravane soit suffisamment conséquente pour attirer l’attention et convaincre Hérode et les habitants de Jérusalem qu’ils accueillent des hommes d’importance. Le motif de leur voyage trouble Hérode et Jérusalem. Puisqu’ils ont identifié l’astre avec la naissance d’un roi juif et qu’aucune naissance n’eut lieu au palais, c’est qu’un roi caché, un rival potentiel pour Hérode, est advenu. Les vieilles prophéties concordent avec les dires des mages. Hérode va confirmer les accès de son caractère violent et sous couvert de dévotion cherche à localiser le roi-messie pour s’en débarrasser. Notons qu’il agit en connaissance de cause, et qu’il se révèle ainsi non seulement comme un tyran, mais aussi comme un homme qui s’oppose directement à la volonté divine. Il se rapproche dans son comportement au Pharaon d’Egypte qui avait treize siècles auparavant commandé la mise à mort des enfants mâles pour juguler la croissance des Hébreux sur son territoire et qui s’est opposé à Dieu en ne relâchant pas sa main sur eux quand vint le temps de l’Exode. Le massacre des Innocents confirma ses intentions meurtrières.

Revenons aux mages : j’interprète leur marche vers l’occident comme une démarche spirituelle. Ils se dirigent dans la direction du ponant, le lieu où le soleil se couche. Dans notre tradition religieuse, notre culte vise plutôt l’orient, moyennant les changements liturgiques que nous avons connus récemment, c’est-à-dire dans la direction du soleil naissant, comme signe de la résurrection. Aller vers l’ouest, c’est se rapprocher du soir, de la fin de la journée et symboliquement vers le crépuscule de la vie. Jacques Brel chantait l’étiolement de la vie dans le soir de son « dernier repas ». On peut supposer que des mages cherchent à conjurer comme tant de rites ésotériques et magiques le suggèrent le diktat implacable de la mort. Dans mon imagination, les mages investissent leur intelligence et leur savoir pour échapper à l’anéantissement et l’étoile constitue un espoir ténu, mais réel, de découvrir celui qui pourra leur faire passer « les ravins de la mort ». Ils obliquent vers Bethléem, « qui n’est pas l’un des moindres des clans de Juda » et découvre le lieu où l’enfant-roi se trouve.

Nous connaissons bien l’hommage qu’ils lui rendent. L’offrande de la myrrhe, de l’encens et de l’or l’honore dans son immortalité, dans sa divinité et dans sa royauté. Ces dons expriment aussi ceux à quoi ils renoncent. Ces qualités qu’un sage veut obtenir, et qu’ils ont probablement désirés pour eux-mêmes, ils les laissent au pied de Jésus nouveau-né. Je m’interroge sur un tel détachement. Nous pouvons supposer, à l’instar de Syméon qui reçut le Christ dans ses bras et qui contempla en lui la consolation d’Israël, que le signe de l’enfant dans un « pays du soir » constitue pour eux la promesse d’une renaissance et le signe que la fin de vie humaine ne débouche pas sur des ossements mais sur une vie naissante. En se dépouillant des symboles de la royauté, du désir de divinité et d’immortalité, pour les attribuer à Jésus, ils accèdent à ce que l’être humain ne peut pas s’octroyer à lui-même. Leur acte d’adoration et d’offrande devient un acte d’humilité et d’accueil, sans lequel Dieu ne peut rien donner. Les mages illustrent la génuflexion de l’esprit humain qui, sans se départir des ambitions qui l’habitent, reconnaît qu’il ne peut se les attribuer de lui-même.

Ils repartent chez eux par « un autre chemin ». Ils ont sans doute compris que Hérode ne pourra jamais effectuer cette génuflexion et qu’il ne consentira pas à abandonner son pouvoir. La visite rendue au Christ les dispense à aller plus loin vers le couchant et allège leur conscience. Où qu’ils soient, la crainte de la mort laisse maintenant la place à l’espérance, car Dieu sait bien donner la vie à celui qui se dispose à la recevoir sous n’importe quel soleil. 

Nous autres, hommes modernes, cherchons à dépasser la mort. Nous nous embarquons dans des voyages longs et périlleux, pour faire reculer le soir de la mort. Et si l’immortalité pouvait s’obtenir en repoussant sans fin les affres de la vieillesse ? Ou alors pour mieux dominer la mort, si l’on pouvait la donner pour mieux oublier que nous y sommes soumis ? On voit ici l’illusion et la vanité d’une telle entreprise, qui cache mal la crainte et l’orgueil. Par-delà le folklore qu’ils inspirent, les mages nous donnent un enseignement précieux : la génuflexion est une sagesse, non un acte de démission de la sagesse. 

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